Pour Anthony Margot, la hausse des droits de douane américains est "coup dur de plus", notamment après le renforcement du franc.
La hausse des droits de douane américains n’est pas la première crise que traverse Margot Fromages à Yverdon-les-Bains. Des mesures ont été prises depuis le début de l’année par la filière du gruyère pour monitorer la production, car le franc fort pèse aussi dans la balance.
Dans son village, le 1er août a eu lieu le 31 juillet. La Fête n’a donc pas été ternie par l’annonce des droits de douane américains frappant la Suisse. Pour Anthony Margot, le réveil a pourtant bien eu un arrière-goût amer. L’entreprise yverdonnoise, qu’il cogère avec son frère Gilles, exporte aux États-Unis. Et pour lui, le drapeau rouge à croix blanche vaut son pesant d’or. Margot Fromages affine 10% de l’ensemble de la production de gruyère et vend dans une quarantaine de pays essentiellement du gruyère, mais aussi quelques autres fleurons de l’industrie fromagère suisse, comme le Tilsiter, l’Appenzeller ou l’Emmentaler.
Les États-Unis représentent aujourd’hui 1% des ventes à l’étranger de Margot Fromages, mais, tient-il à préciser, «pour l’ensemble de l’Interprofession du gruyère, ce marché pèse 13%. En fait, c’est un coup dur de plus». Et d’énumérer les crises traversées depuis que la cinquième génération des Margot est aux commandes de l’entreprise fondée à L’Auberson en 1886. Il se souvient du 11 septembre 2001. Il se souvient aussi du 15 janvier 2015, l’abandon du taux plancher par la Banque nationale suisse. Il se souvient bien sûr du COVID. Il se souvient encore des sécheresses affectant la production de lait et donc de fromage. Il se souvient également de camions bloqués aux frontières. Autant de souvenirs qui se traduisent, très souvent, en manque à gagner pour l’ensemble la filière.
Car un affineur, c’est une sorte de «banquier» dans la mesure où il stocke pendant plusieurs mois les meules achetées aux fromageries locales trois mois après leur fabrication. L’affinage terminé, l’entreprise écoule ses fromages sur le marché, dont un tiers à l’étranger. Dans ses deux caves d’Yverdon-les-Bains et de Froideville, Margot Fromages peut soigner jour après jour jusqu’à 36 000 meules. Dans le Nord vaudois, les couloirs s’enfoncent dans la molasse, fleurant bon l’ammoniac, odeur si typique de cette période clé de la vie d’un fromage. «Mon grand-père a choisi cet endroit, car cette roche réagit comme une éponge, permet de garder l’humidité nécessaire même en période de sécheresse ou de canicule.»
Sur les planches, des gruyères AOP de 5 alpages et 17 fromageries – notamment vaudoises, neuchâteloises et fribourgeoises – gagnent en maturité, sont régulièrement retournés et frottés par un robot. Les meules resteront dans leur repaire le temps défini, comme la zone de provenance et d’affinage, par le cahier des charges de l’appellation d’origine protégée. Trois lettres clés en Europe, mais ignorées aux États-Unis.
L’activité de Margot Fromages s’étend sur la chaîne de valeur fromagère. L’entreprise découpe – ou râpe –, emballe et commercialise. Ce ne sont pas moins de 4500 tonnes de fromage qui quittent l’entreprise yverdonnoise bon an mal an fournissant un emploi à une trentaine de personnes, sans compter les temporaires en périodes chargées. Et aujourd’hui, une commande attend patiemment des nouvelles en provenance des États-Unis, ce qui n’est pas sans incidence sur les producteurs, mais aussi sur les fournisseurs de cartons, d’étiquettes et autres sous-traitants.
Ses ventes américaines, Margot Fromages les réalise surtout sur la côte est. Le gruyère se retrouve sur les étals de produits alimentaires dits de luxe. Sera-t-il évincé? Remplacé par un concurrent voisin? Anthony Margot ne le pense pas, même si risque il y a. Comme bon nombre d’entrepreneurs, il évoque la capacité de résilience des PME suisses. Il le répète: ce ne sera pas la première fois, mais une fois de plus. Surtout que, s’empresse-t-il de préciser, ces taxes douanières viennent s’ajouter à la baisse du dollar. Le billet vert a en effet perdu quelque 12% contre le franc depuis le début de l’année. Et même si 12+39 ne font pas forcément, au final, 51, la valse des étiquettes s’accélère. Jusqu’où les amateurs et les amatrices de gruyère sont-ils prêts à débourser pour déguster ce fromage unique?
En fait, des mesures ont été prises par la filière depuis le début de 2025. Les crises passées ont permis d’identifier les points critiques, d’anticiper ce qui pouvait l’être. Même si «l’expérience est une lanterne qui n’éclaire que le chemin parcouru». Un cockpit décisionnel a ainsi été mis en place. Il doit veiller à ce que des surcapacités ne sapent pas les efforts fournis pour préserver la valeur ajoutée du gruyère. Cette année, la production est désormais réduite de 5% sur l’ensemble de l’Interprofession. Ce qui se lira dans les livres de comptes à chaque échelon. À commencer par les producteurs de lait. L’impact est d’autant plus important, poursuit Anthony Margot, que «la production de gruyère se planifie sur deux ans environ».
Il poursuit en soulignant que cette crise rappelle, une fois encore, l’importance de la diversification des marchés. Et il parle d’expérience. «Nous avions, il y a quelques années, un client qui pesait pour la moitié de notre chiffre d’affaires. Aujourd’hui, le plus important dépasse à peine 20%».
Expérience, bon sens, savoir-faire, produits d’exception, la recette doit, cette fois encore, faire ses preuves.