Les participants de la table ronde du Rendez-vous du commerce international: Andrea Rauber Saxer, ambassadrice cheffe du centre de prestation relations économiques bilatérales du SECO, Charles C. Adams, ambassadeur des États-Unis en Finlande 2015-2017, François Pugliese, CEO Elite, président de la CVCI, Joel Poget, CEO Bien-Air Medical Technologies, Damien Frochaux, Chief Sales and Marketing Officer, Asyril SA, Philippe Cordonier, directeur romand Swissmem, Matthieu Hofstetter, modérateur. Photo: Amélie Blanc

Entreprises 29 août 2025

PME exportatrices: quelles stratégies face aux droits de douane?

Comment comprendre et affronter les tarifs américains entrés en vigueur le 7 août dernier? Le Rendez-vous du commerce international, organisé le 27 août par Switzerland Global Enterprise (S-GE) et l’agence suissse d’aide à l’export (SERV),  a ouvert quelques pistes.

Ne pas «céder à la stupeur», a rappelé Bastien Bovy, consultant chez Switzerland Global Enterprise (S-GE), mais «avancer, explorer les impacts et les options possibles»: au cœur du Campus Unlimitrust à Prilly, les intervenants au «Rendez-vous du commerce international» ont pleinement joué le jeu, partageant leurs interrogations et leurs stratégies face à ce marché américain sous très haute tension.

Un nouveau paysage

Quelques repères dans ce paysage désormais bousculé. Les États-Unis représentent le plus grand pays d’exportation pour la Suisse. Et la nouvelle administration américaine n’a jamais caché son intention de modifier ses pratiques douanières. Le 2 avril, son décret qui annonçait un montant de 31% – gelé le 12 mai –, a été suivi d’un taux standard de 10%. Les négociations entre la Suisse et les États-Unis, «avaient abouti, mais n’ont pas été respectées», a détaillé Andrea Rauber Saxer, ambassadrice cheffe du centre de prestation relations économiques bilatérales du SECO. Résultat: «il faut tout reprendre», avec pour le moment un taux de 39% sur de nombreux produits suisses.

Les tarifs américains devraient selon toute vraisemblance rapporter USD 300 milliards aux États-Unis en 2025. Et une fois de nouvelles rentrées financières instaurées, un État revient rarement en arrière. Aussi, même si la discussion entre les deux gouvernements se poursuit, un retour à une situation sans aucune barrière d’entrée au marché américain semble exclu.

Comme l’ont souligné plusieurs entrepreneurs, cette décision intervient dans un contexte de franc fort et de dollar particulièrement faible. Ce n’est pas une crise comparable à celle de 2015 – l’abandon du taux plancher –, ou à celle du COVID en 2020, mais c’est une difficulté qui vient s’ajouter à une conjoncture déjà difficile.  Ainsi, la «situation est préoccupante, voire très préoccupante, mais pas catastrophique» , a soulignée Sébastien Gyger, CIO de la BCV (voir encadré ci-dessous).

De nombreuses PME exportatrices sont désormais dotées d’une task force chargée de suivre l’évolution de la situation, et de trouver des pistes concrètes au jour le jour. Voici quelques-unes partagées par les participants et les participantes à la manifestation.

À court terme: réduire l’impact

C’est une solution, qui ne peut pas être tenue longtemps, mais réaliste, étant donné que les négociateurs suisses n’ont pas dit leur dernier mot: certaines entreprises commencent tout simplement par… attendre avant toute décision stratégique. Cela ne les empêche pas d’explorer d’autres remèdes immédiats.

Pour répartir la nouvelle taxe, d’abord: certaines PME présentes ont expliqué avoir demandé un effort à leurs distributeurs américains, tout en assumant également une partie des coûts. Un geste «apprécié» par les partenaires sur place, qui sont «tout aussi impactés», ont rappelé plusieurs participants. Reporter une partie des coûts sur le consommateur final est aussi possible, parfois plus facilement dans le domaine des biens de consommation de luxe que dans celui des machines-outils.

Des mécanismes douaniers sont aussi à explorer, comme le «First sale rule», dispositif américain tout à fait légal et existant, qui veut que, si un produit est acheté USD 100, mais revendu USD 150 sur le sol américain, il sera taxé sur un montant de USD 100.

Enfin, bien entendu, face à la baisse de la demande, les RHT sont aussi une réponse d’urgence, mais restent un «pansement», et non une solution durable, même si cette possibilité pourrait être étendue par la Confédération à 24 mois.

À moyen terme: modifier ses chaînes de valeur

Investir aux États-Unis n’est pas la piste explorée en priorité par les PME présentes ce soir-là, qu’elles exercent dans le luxe, les machines-outils ou la medtech. «Trop d’instabilité» pour le moment dans ce pays, il faut attendre «un peu plus de cohérence» pour y songer effectivement, ont relevé certains intervenants.

En revanche,  pour le moment, exporter depuis un site d’assemblage ailleurs, par exemple dans l’Union européenne (UE), est une piste étudiée sérieusement par des fabricants, de quoi «faire baisser les droits de douane à 15% et rejoindre les concurrents». Reste que cette stratégie se heurte à deux inconvénients majeurs: l’incertitude sur la référence qui sera choisie par les douanes américaines entre importation depuis l’UE ou fabrication suisse, et la perte du Swiss made, avantage concurrentiel considérable. Et richesse pour le pays.

«Nous tenons à notre écosystème local: tout le savoir-faire autour des machines est précieux en Suisse, le réseau de sous-traitance aussi. Ce niveau de compétence est inégalé, ne se transfère pas, permet de conserver des emplois à haute valeur ajoutée», ont plaidé plusieurs dirigeants ainsi que Philippe Cordonier, représentant de Swissmem, faîtière de l’industrie suisse.

L’option de mettre en place une filiale aux États-Unis existe tout de même. À travers un prix de cession avantageux, l’impact des taxes serait réduit et la filiale pourrait ensuite revendre les produits aux clients américains au prix catalogue. Une solution explorée par plusieurs participants. Mais deux écueils se présentent: l’investissement nécessaire pour créer cette filiale sur le sol américain, et la certitude que le prix de cession ne sera pas retoqué par les douanes américaines qui y verront un stratagème aux limites de la légalité. Reste que certaines PME y songent.

Dans tous les cas, pour procéder à une décision stratégique, il convient de maintenir des contacts soutenus avec des partenaires existants (distributeurs, transporteurs, sous-traitants, etc.), indispensables pour identifier des pistes, des solutions, des opportunités d’évolution. «Notre approche est prudente, nous voulons faire les choses bien», a résumé un dirigeant.


À long terme: s’adapter au changement de cadre

Au contraire, ont plaidé certains: plutôt que de faire profil bas et de «jouer selon les règles», l’heure est peut-être venue de «bomber le torse» et d’oser des solutions «plus iconoclastes», a lancé un membre du public. «Notre start-up vend des machines, mais depuis l’instauration des droits de douane, nous ne vendons plus rien: nous nous contentons de louer nos appareils. Les activités de services ne sont pas taxées. Résultat, nos droits de douane sont équivalents à zéro.»

Une transformation de l’offre, que d’autres PME explorent aussi. «Nos produits contiennent des softwares et nous étudions la possibilité de dissocier cette partie logicielle de notre offre, de proposer des formations. Une activité immatérielle qui n'exige aucun droit de douane. Nous creusons cette piste qui est intéressante, car elle n’impacte pas la dimension swissness du produit. Mais ne souhaitons la mettre en œuvre que lorsque nous aurons défini des règles, établi une ligne dans le domaine.» 

L’idée de la mise en place d’un prêt public de type «prêt COVID» a fait son chemin au cours de la soirée; tout comme, au fil des échanges, la prise de conscience qu’un besoin en liquidités pourrait se faire sentir d’ici peu pour les PME concernées.

Pour y faire face, outre les partenaires bancaires habituels, l’ouverture de nouveaux marchés reste une piste essentielle. L’Asie du Sud-Est a été plusieurs fois mentionnée comme une région à suivre: un accord bilatéral avec la Malaisie est en voie d’être finalisé, et le marché indien devrait s’ouvrir cet automne – l’accord de libre-échange avec l’Inde entrera en vigueur dès le 1er octobre –. Mais attention, «ouvrir un nouveau marché ne se décrète pas du jour au lendemain. Il faut être doté d’un distributeur fiable, c’est un travail de longue haleine», a rappelé François Pugliese, président de la CVCI et CEO d’Elite.

Enfin, pour se démarquer, le rôle fondamental de l’innovation et de la formation a été rappelé – et le soutien de la Confédération invoqué en la matière –. Mais si la résilience et l’ingéniosité des PME suisses seront indispensables, ces dernières, ne sont pas livrées à elles-mêmes, à l’image de la discussion qui a réuni membres du SECO, des faîtières, des entrepreneurs et des organisations spécialisées dans l’export. Et Christian Hendriks, de la SERV de conclure: «c’est notre écosystème, soudé, agile, ambitieux, qui fera la différence.»

Par Camille Andres, pour la BCV

La Suisse «touchée mais pas coulée»

Sébastien Gyger, CIO de la BCV, a apporté trois éléments d’analyse macro-économique pour nuancer l’impact des nouveaux droits de douane américains.

Des nuances sectorielles. Des droits de douane de 39% sont très préoccupants, les États-Unis étant le premier pays d’exportation pour la Suisse. Mais ils ne sont pas catastrophiques pour notre pays qui produit des biens à forte valeur ajoutée et se retrouve donc «touché, mais pas coulé». La pharma suisse représente 60% des exportations suisses aux États-Unis, et elle n’est pas concernée pour l’heure. De fait, tous les secteurs d’activités ne sont pas atteints de manière uniforme et les droits effectivement payés par les entreprises suisses avoisinent plutôt les 20% en moyenne aujourd’hui.

Des différences cantonales. Tous les cantons ne sont pas égaux devant la situation. L’Arc jurassien a une dépendance forte à l’horlogerie haut de gamme, mais Fribourg et Vaud bénéficient d’une industrie plus diversifiée et d’une attractivité plus forte, par exemple.

Des moyens d’action. Les entreprises disposent de leviers multiples: RHT, ajustement des chaînes de valeur, délocalisation, ou encore ajustement sur les prix. Et le processus de négociation avec les États-Unis reste actif, offrant une lueur d’espoir.