Les caisses de pensions peuvent à nouveau compter sur une bonne année boursière en 2025, mais elles n'échappent pas aux questions structurelles à résoudre à moyen terme, qui touchent notamment les adaptations aux nouvelles normes sociétales.
Avenir du minimum légal dans le 2e pilier, individualisation croissante de l’offre des prestations, redistribution. Ces sujets, récurrents dans les séances de conseil de fondation, étaient au cœur d’une table ronde lors d’une manifestation organisée par la BCV.
Et pourtant il fonctionne. Même ses contempteurs en conviennent. Alors qu’il vient de fêter ses 40 ans, le deuxième pilier de la prévoyance professionnelle suisse remplit ce pour quoi il a été créé, soit compléter l’AVS et permettre aux ménages suisses d’améliorer leur train de vie à la retraite. Mais, il doit être adapté non seulement à l’environnement économique et démographique, mais aussi aux nouvelles tendances sociétales. En vrac: individualisation, durabilité, numérisation et autre démographie.
Les caisses de pensions n’ont pas attendu un changement législatif encore lointain pour agir ou réagir. Et les autorités de surveillance tentent de contenir tout débordement du cadre existant en publiant des normes et autres recommandations. Où va-t-on? Quelles sont les pratiques acceptables? Les minimaux légaux sont-ils à risques? Ces questions ont été débattues lors d’une table ronde organisée lors d’une manifestation de la BCV. Une table ronde qui a réuni Emmanuel Vauclair, directeur de la Caisse de pension SSR SRG, François Pugliese, CEO d’Élite et président de la CVCI, Stéphane Riesen, directeur général de Pittet Associés et Francis Bouvier, responsable de la Prévoyance professionnelle à la BCV et directeur d’AVENA Fondation BCV 2e pilier.
Premier constat, 2025 devrait être une bonne année boursière. Les caisses de pensions devraient ainsi encore bénéficier d’un apport substantiel du troisième cotisant puisque les principales classes d’actifs prennent le chemin d’un exercice en vert. La palme revient aux actions. Mais les obligations, même en période de taux bas, apportent leur écot aux caisses de pensions. Ainsi, le rendement moyen devrait à nouveau s’avérer intéressant. Pour rappel, l’an dernier, il était de 7,5%. Dans ces conditions, une question s’invite dans les réunions des conseils de fondation: faut-il faire participer les personnes actives et retraitées aux résultats?
Une opportunité? Emmanuel Vauclair en est persuadé et voit, dans cette nouvelle occasion de redistribuer les excédents aux actifs et aux retraités, une preuve supplémentaire que le système fonctionne. L’occasion aussi, a relevé Francis Bouvier, de prendre cet exemple – troisième année boursière globalement positive de suite – pour vulgariser le fonctionnement d’un deuxième pilier qui reste encore trop obscur auprès de ses principaux bénéficiaires.
En 2024, les caisses de pensions ont rémunéré les avoirs des assurés actifs au taux moyen d’environ 4%. Ainsi, selon l’étude de Swisscanto, depuis 2008, le troisième cotisant est devenu la principale source de revenus du 2e pilier, devant les apports des employeurs et des assurés. Conséquences: les taux de couvertures sont bons, très bons même. À la fin du 3e trimestre 2025, le taux de couverture moyen dépassait les 120%.
Attention, cependant, à rester prudent, avertit Stéphane Riesen, qui craint une trop grande générosité au vu des pratiques qui tendent à s’étendre. Il appréhende également une interprétation individuelle des chiffres, que ce soit le taux technique ou les réserves de fluctuations de valeur. Le débat est bien là. Le risque existe de voir plusieurs bonnes années de suite laisser libre cours «à des opérations à la limite du marketing pour redistribuer», a pour sa part relevé François Pugliese en rappelant qu’au-delà des effets d’annonce, c’est bien le rendement réel qui doit faire foi et non le rendement annoncé des placements sur l’année. Surtout que toutes les caisses de pensions n’afficheront pas les mêmes performances. Ceci sans même rappeler que toutes ne présentent pas les mêmes structures démographiques ni les mêmes rapports actifs/rentiers.
Des remarques qui prévalent aussi à l’heure où l’individualisation tend à faire de l’ombre à la solidarité dans les prestations offertes. Qu’en est-il tout d’abord du minimum légal? Est-il en danger? Les témoignages ciblant des entreprises qui limitent le temps de travail pour ne pas entrer dans la zone des cotisations obligatoires sont légion lors de chaque débat sur le thème. D’autres employeurs ont réglé la question des bas salaires, des temps partiels, des multi emplois en ajustant le montant de coordination ou en consolidant les différents revenus.
Si les femmes sont majoritairement concernées par ces situations très courantes en Suisse. Elles ne sont plus les seules. En 2024, 42% des personnes actives occupées en Suisse ne travaillaient pas à temps plein. Le taux le plus élevé après les Pays-Bas, selon des chiffres compulsés par l’Office fédéral de la statistique (OFS). Si le temps partiel concerne davantage les femmes (58% contre 21%), le taux de croissance est plus élevé chez les hommes. Autre tendance: le cumul des emplois. Moins étendu, il concerne néanmoins 8,2% des personnes actives. Là encore, les femmes dominent une statistique essentielle pour la couverture des bas salaires en matière de deuxième pilier.
«Les employeurs tiennent à offrir à leurs employés et à leurs employées ce que leur situation financière permet tout en respectant la loi», résume Francis Bouvier en rappelant qu’il faut souvent chiffrer ce que cela signifie concrètement pour les collaborateurs et les collaboratrices. Alors, le tableau devient plus clair, avec souvent une surprise du niveau – plus bas qu’imaginé – du montant que toucheront les personnes une fois à la retraite.
«La rente moyenne se situe à CHF 20 000 aujourd’hui, renchérit François Pugliese, ce qui montre que notre système n’est pas encore suffisamment au point». En 2024, selon l’OFS, le montant mensuel médian perçu par les nouveaux retraités s’élevait à CHF 1227 pour les femmes et CHF 2042 pour les hommes. «C'est notre responsabilité d'employeur de trouver un système qui permette d'assurer des rentes décentes à nos collaborateurs et collaboratrices, surtout aux bas salaires. Car à l’autre bout de l’échelle des revenus, les solutions flexibles existent, parfois même à la limite de l’évasion fiscale.» Notamment pour attirer les talents. «Je suis libéral dans l’âme, mais, dans ce cas, le système a atteint ses limites». Et de demander la suppression du seuil de cotisation.
Un minimum légal est «primordial, je n’arrive pas à m’imaginer une LPP sans minimum», souligne Stéphane Riesen en rappelant que le 2e pilier est – et doit rester – une assurance sociale. «Le minimum légal, c’est un choix de société, et la société, c’est nous: c’est à nous d’accepter que la protection des bas salaires ait un coût. Or, pour l’heure, le peuple ne l’a jamais admis dans les urnes sous cette forme», rappelle Emmanuel Vauclair. Et Stéphane Riesen d’ajouter: «C’est un projet de société effectivement. La réponse est politique».
Légiférer, oui, mais comment avancer en attendant? Surtout que, comme le rappelle Francis Bouvier, «les demandes d’individualisation, de modernisation de l’offre en matière de 2e pilier, proviennent des assurés et des assurées». Un exemple? «La restitution du capital au conjoint survivant en cas de décès après la retraite. Je peux comprendre en tant qu’assuré, mais, en tant qu’actuaire, je ne peux que souligner qu’une des bases de la LPP est la mutualisation du risque de longévité. C’est la cohérence du système qui est en jeu dans ces réflexions sociétales.» François Pugliese ajoute: «les solutions peuvent me convenir à condition que, au final, le différentiel entre taux servi et taux réel soit au service de la mutualisation».
L’outil ultime de l’individualisation, c’est en fait le retrait des avoirs LPP sous forme de capital, rappelle Emmanuel Vauclair. Et aujourd’hui toujours davantage de personnes en font usage. En 2024, 45% des nouveaux bénéficiaires ont choisi le capital, 36% la rente et 19% un mix des deux. Et ceci quel que soit le genre. Quelle est l’alternative à cette tendance forte, s’interroge-t-il? Il évoque les solutions proposées qui permettent de redonner du lustre à la rente. Des exemples? Permettre le choix de la réversion de la rente conjoint ou conjointe, garantir un capital décès aux personnes héritières, différentier les taux de conversion selon les genres, etc. Un petit coin dans la solidarité pour un petit pas vers les tendances sociétales?
Peut-on vraiment gagner sur tous les tableaux?, rétorque Stéphane Riesen, en demandant au législateur de «cesser de s’arque-bouter sur le taux de conversion, de prendre suffisamment de recul pour élaborer une stratégie qui prenne en compte ces nouvelles normes sociétales». Une nouvelle loi, une nécessité pour cadrer le flou actuel. Il y a certes des réactions à l’exemple des normes et recommandations de la Commission de haute surveillance (CHS PP), poursuit-il. Pas suffisant à ses yeux au vu de ce qui se passe, au vu aussi du système de surveillance. «On joue avec le feu.»
En toile de fond du débat se dessine l’Arlésienne du 2e pilier: la communication ou comment faire passer ses messages aux parties prenantes. Comment le rendre suffisamment compréhensible pour qu’il franchisse l’écueil des positions doctrinales à chaque scrutin? En d’autres termes, comment rapprocher les caisses des assurés et des assurées? Il a été question de présentation dans les écoles, de podcasts, d’ambassadeurs, de webinaires, de newsletter. «Il n’y a qu’un mot qui me vient à l’esprit, souligne François Pugliese, c’est crédibilité. Une caisse doit être crédible par rapport à sa politique, à ses taux, ses réserves, etc. Au-delà des effets d’annonce, elle doit montrer sa solidité et sa longévité.» Oui, mais elle doit savoir le dire, conclut Francis Bouvier. «Les professionnels du 2e pilier doivent vraiment réfléchir aux aspects communication et marketing. C’est bien de discuter entre nous, mais il faut parler aux autres.»