Le train de l'investissement responsable avance, mais le travail de standardisation des données doit se poursuivre au nom de leur crédibilité, ont notamment souligné les intervenants des Rendez-vous de la Finance.

VOTRE ARGENT 12 mai 2021
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L’investissement socialement responsable, bientôt la norme

La durabilité du succès des placements prenant en compte les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) a été discutée lors des Rendez-vous de la Finance.

Le bateau de l’économie mondiale avance à forte allure, vent dans le dos. Cette image a servi de fil rouge à la table ronde des Rendez-vous de la Finance, organisée par la BCV le 5 mai dernier en ligne. Les économistes intervenants, Serge Lederman (1959 Advisors), Fabrizio Quirighetti (Decalia Asset Management) et Fernando Martins da Silva (BCV), ont non seulement analysé les probabilités d’un changement de direction du vent, mais ont aussi évoqué les voies navigables à plus long terme. Des tendances de fond que les investisseurs ne peuvent plus ignorer, et pour lesquelles il s’agit de trouver des points d’entrée, parmi lesquelles émerge l’investissement durable. Extraits du débat.

L’investissement socialement responsable, une tendance durable ou un effet de mode?

Convaincus que la prise en considération des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) va devenir assez rapidement la norme en matière d’investissement, les intervenants ont convenu que le thème de la durabilité avait été fortement demandé par les investisseurs en 2020.

«Ces valeurs ont attiré l’an dernier des flux massifs de fonds poussant leurs cours à des niveaux un peu élevés», a relevé Fernando Martins da Silva en soulignant que le calme revenait pour asseoir le thème sur la durée. Et de rappeler: «intégrer les critères ESG dans la gestion de son portefeuille permet non seulement d’améliorer son approche en matière de risque, mais aussi de créer un cercle vertueux, en poussant à terme les entreprises à améliorer leurs pratiques».

Pour l’investisseur, une approche durable ressemble en fait à «un savant cocktail alliant ces critères ESG aux critères traditionnels d’analyse financière, ceux relatifs au rendement, au risque, à la liquidité, à la qualité, aux coûts de gestion, etc.». Mais les repères manquent encore. «En finance, en lisant des données relatives à la volatilité ou à la dispersion des rendements, nous savons de quoi il est question, a noté Fernando Martins da Silva. En matière d’ESG, il manque encore de données pour mesurer les impacts. Le travail de standardisation doit se poursuivre au nom de la crédibilité des données à disposition».

L’ESG, la norme dans 5 à 10 ans?

Car, le train avance bel et bien. «Le cadre est en train d’être défini, l’ESG devient la norme. Dans cinq à dix ans, nous n’aurons vraisemblablement plus besoin de filtres ni de critères», a constaté Fabrizio Quirighetti. Il a cité l’exemple de la multiplication des analystes ESG dans les banques, mais aussi de l’évolution des entreprises. Car le but, a-t-il rappelé, est bien là: que les compagnies comprennent les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance et modifient ce qui doit l’être en leur sein. Ce qui ne manque pas de complexifier la compréhension de l’approche, voire du processus de décision des investisseurs. Exemples à l’appui. «Le premier réflexe lorsque l’on évoque un investissement ESG est de ne pas considérer tout ce qui concerne le pétrole. Or, certaines sociétés pétrolières travaillent aussi à développer l’énergie du futur.»

Autre cas: les métaux industriels en général et le cuivre en particulier. «Aujourd’hui, les énergies plus respectueuses du climat demandent de grandes quantités de métaux industriels, dont les prix flambent. Or, de manière globale, le secteur minier n’est pas toujours un bon exemple en matière d’ESG. Ainsi, notre rôle en tant qu’investisseur, est de forcer petit à petit les compagnies à aller dans la bonne direction».

Les «green deals», une occasion à ne pas manquer?

Le développement des énergies renouvelables, voire la transition énergétique dans son ensemble, pose plusieurs défis. Idem pour les énormes plans de relance qui visent à transformer le fonctionnement de la société, notamment aux États-Unis, comme l’a souligné Serge Ledermann. «Ce plan comporte plusieurs étapes qui visent à engager le pays vers un renouveau pour s’adapter au changement climatique, aux énergies plus vertes, mais aussi pour rénover des infrastructures d’un autre âge aux pays des géants de la tech. Il vise aussi à rééquilibrer la société américaine, alors que les détenteurs du capital ont particulièrement profité de la politique monétaire accommodante de la banque centrale. Cette dynamique assez novatrice, si elle aboutit, devrait permettre aux États-Unis de regagner des parts de marché dans des secteurs qui sont les secteurs de demain». Et d’appeler l’Europe à s’inspirer du mouvement.

Quelle croissance à long terme?

Car, si le différentiel de croissance actuel entre les deux rives de l’Atlantique est appelé à se réduire au troisième trimestre 2021, à plus longue échéance, l’Europe a besoin d’un fort gain en productivité. Elle doit en effet compter avec un handicap de taille: sa démographie, a souligné Fernando Martins da Silva en rappelant que la croissance économique se base fondamentalement sur l’évolution de la population active et sur celle de la productivité. «Aux États-Unis, la croissance de la population active au cours de ces 10 à 20 prochaines années va être légèrement supérieure à 1%. Ainsi, avec la productivité attendue, on devrait pouvoir compter sur une croissance de base du PIB de 2% à 2,5%.» En Europe, «la population active va presque stagner. Pour régater avec les États-Unis, l’Europe doit beaucoup investir dans la productivité.»

  • Vous pouvez réécouter les Rendez-vous de la Finance en ligne du 5 mai 2021: replay