Quelle que soit sa forme, un moyen de paiement doit être disponible partout et en tout temps. La technologie a non seulement modifié notre comportement face à l’argent, elle a aussi bouleversé le paysage financier en permettant la multiplication des acteurs.

VOTRE ARGENT 31 octobre 2017
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Cash ou pas cash?

Comment payez-vous vos achats? En espèces, avec une carte de crédit ou de débit, avec votre téléphone portable, avec des bitcoins, par virement bancaire ou encore par facture? Aujourd’hui, les moyens de paiement se multiplient. Est-ce au détriment du cash?

Le secteur des paiements évolue au gré des avancées technologiques. Elles ont ainsi permis l’émergence des porte-monnaie électroniques ou du paiement sans contact (la fonction représentée par des ondes se déplaçant latéralement sur votre carte de crédit). Votre smartphone peut ainsi être relié à vos cartes ou à vos comptes en banque. Il vous permet aussi d’échanger de l’argent entre amis. Et il n’est pas le seul. Vous allez dans un festival de musique et vous payez vos consommations avec un bracelet. Demain, vous réglerez vos factures par messagerie comme cela se fait déjà dans certains commerces chinois. Ces innovations relèguent presqu’aux oubliettes le chèque inventé en Angleterre au 18e siècle. Certains les voient même remplacer physiquement la carte de crédit qui est, elle, apparue au début du 20e siècle aux Etats-Unis, mais ne s’est vraiment développée qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, voire, suite à l’invention de la puce, à partir des années 70.

Un monde sans cash

Dans certains pays, comme la Suède, le porte-monnaie électronique nordique, Swish, revendique plus de 5 millions d’utilisateurs. En Chine, les offres de paiement mobile du géant du commerce en ligne Alibaba ou du réseau social WeChat poussent les paiements par téléphone et via internet à près de 20% des transactions. La croissance des paiements sans cash est estimée à 6% par an depuis 2010 en Europe, selon une étude d’A. T. Kearney. Selon un autre rapport, celui du cabinet Gartner, l’an prochain déjà un Européen sur deux paiera avec son smartphone ou un objet connecté (montre ou bracelet, par exemple). En Angleterre, la diffusion de la carte de débit sans contact a accéléré le rattrapage du cash par le plastique: ce sera pour 2018 selon l’industrie des paiements, soit avec trois ans d’avance sur le programme initial.

Résistance des espèces

Il est cependant trop tôt pour enterrer le cash. Sur le plan mondial, bon an mal an, la production de billets augmente d’environ 5%. En Suisse, la population reste attachée aux espèces, puisque l’on estime qu’environ deux tiers des achats sont encore payés avec des francs sonnants et trébuchants. En Allemagne ou en Autriche, la part du cash dans le nombre de transactions dépasse encore les 80% (60% lorsque l’on considère les volumes échangés). Et certains considèrent déjà les espèces comme l’un des derniers espaces de liberté, sans traçage électronique.

Secteur financier en mutation

Aujourd’hui, plus que jamais, un moyen de paiement doit être disponible partout et en tout temps, quelle que soit sa forme – cash, plastique, téléphone, etc. Comme dans d’autres secteurs, la technologie a non seulement modifié notre comportement face à l’argent, elle a aussi bouleversé le paysage financier dans son ensemble en permettant la multiplication des acteurs. Les opérateurs de téléphonie, les fabricants de smartphone ou des start-up peuvent être à l’origine d’un moyen de paiement ou offrir des services qui lui sont liés. Sans même parler des géants technologiques que sont les GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple), qui s’intéressent toujours davantage aux services financiers.

Dans cet environnement mouvant, une autre nouveauté peut bouleverser davantage encore le système: l’arrivée des monnaies virtuelles, les cryptomonnaies à l’instar du bitcoin, qui ne sont plus adossées à une organisation centrale, mais qui sont régies par un système de surveillance et d’authentification en réseau, appelé blockchain. Si la technologie offre des opportunités, ces monnaies n’ont pas encore gagné la confiance nécessaire à leur développement.

Une dématérialisation pas nouvelle

Mais, si l’on parle toujours davantage de dématérialisation de l’argent, la notion n’est pas nouvelle. Aujourd’hui, près de 90% des sommes en circulation ne sont pas palpables. Lorsque votre employeur vous verse votre salaire, par exemple, il ne vous tend pas une enveloppe de billets. Il demande à la banque de transférer une somme d’un compte à un autre. Et, il en va de même avec votre loyer ou vos impôts si vous les payez par virement bancaire. Ce ne sont que des mouvements de créances engagés par des écritures, c’est ce qu’on appelle la monnaie scripturale. Qui s’ajoute à la monnaie fiduciaire (papier, billets).

Vous ne la matérialisez qu’en vous rendant à un bancomat pour retirer des billets. Mais vous pouvez aussi la laisser sous forme écrite si vous payez avec une carte de crédit ou un smartphone. Dans le même esprit, les solutions électroniques – dont l’e-banking – ont presque éclipsé le carnet jaune de La Poste pour les «paiements» des ménages. Idem au niveau des entreprises, les logiciels qui gèrent le trafic des paiements permettent le transfert de sommes importantes sans qu’elles se matérialisent. La solidité et la durabilité d’un système monétaire ne dépendent ainsi pas des espèces en circulation physique, mais bien de son environnement, de la force d’une organisation collective, d’une société qui permette cette confiance.

L’argent peut ainsi prendre plusieurs formes et la digitalisation accélère un processus en perpétuelle évolution depuis les premiers échanges de l’humanité. Alors oui, le cash fait désormais face à une forte concurrence. Les pro- et anti-cash aiguisent leurs arguments dans une bataille appelée à durer. S’il disparaît, l’argent liquide sera remplacé. Comme l’ont été les louis ou les batz, voire les chèques. L’importance du billet n’est ainsi pas tant dans son aspect, que dans ce qu’il représente.

Article paru dans le magazine Générations, octobre 2017