«C’est arrivé un peu tout seul». Adrien Geinoz est depuis le 1er janvier 2020 administrateur de l’entreprise spécialisée dans les installations électriques, Vielec, à Villars-le-Terroir, où il a fait son apprentissage.

Entreprises 29 septembre 2020

À 30 ans, ils ont repris l’entreprise de leur patron

Humilité, savoir-faire, confiance. Oser, s’entourer, s’organiser. Tels sont quelques-uns des ingrédients d’une reprise réussie. Trois exemples de nouveaux chefs d’entreprise pour qui la question n’est pas l’âge, mais la conviction.

Ils n’ont pas tous encore atteint la trentaine et sont déjà chefs d’entreprise. Mieux, ils sont patrons à la place de… leur patron. Ils ont en effet repris cette année la société dans laquelle ils travaillaient. Leur point commun: avoir trouvé une solution aux défis humain, organisationnel et financier posés par une telle décision. Leur atout: avoir l’entrepreneuriat dans la peau et maîtriser leur domaine.

MP Ingénieurs Conseils, Vielec et CJTEK, ces trois entreprises vivent un changement générationnel à leur tête. Trois branches différentes, l’ingénierie, l’électricité et l’industrie, trois chemins différents pour y parvenir, mais une même volonté de continuité. Si elles semblent aller de soi, ces transitions n’en résultent pas moins de négociations entre un vendeur et un ou des acheteurs. Des tractations parfois de longue haleine qui ont permis de régler les détails pour assurer la pérennité d’entreprises bien implantées sur leur marché.

«C’est arrivé un peu tout seul», résume Adrien Geinoz, administrateur depuis le 1er janvier 2020 de l’entreprise spécialisée dans les installations électriques, Vielec, à Villars-le-Terroir, où il a fait son apprentissage. En fait, il a vite réalisé qu’il aimait diriger. Qualité que son patron, Yvan Pittet, a tout aussi vite identifiée, lui qui avoue avoir pensé à la relève dès son accession à la tête de l’entreprise. D’ailleurs, le passage de témoin n’a pas vraiment surpris la dizaine d’autres collaborateurs, même s’«ils ne pensaient pas que ce serait si tôt».

Seul ou à plusieurs 

Adrien Geinoz a tenu à devenir tout de suite seul actionnaire de Vielec. «Prendre de telles responsabilités était nécessaire, question notamment de motivation». Mais il l’avoue, «je cherche aujourd’hui mon moi d’avant». En d’autres termes, un bras droit. Chez MP Ingénieurs Conseils, la succession a, elle, pris la forme d’un quatuor de coactionnaires et codirecteurs. «Nous avons chacun notre pôle de responsabilités, nous fonctionnons de manière horizontale pas pyramidale», explique Corentin Clot, entré à l’été 2019 dans l’entreprise qui emploie 18 personnes à Crissier. «L’intelligence collective est une force», renchérit Sébastien Di Federico, qui a fait ses premières armes dans l’entreprise et en défend les valeurs. Et, poursuit-il, «la crise sanitaire a démontré que notre organisation fonctionnait plutôt bien».

L’idée du quatuor a surgi au cours des discussions que le vendeur a tenues avec ses collaborateurs après avoir exploré d’autres solutions. Si Corentin Clot a tôt montré l’envie de s’investir, pas facile d’en parler à son patron. Une fois le premier pas franchi, la formation du quatuor «fut une évidence», un élément clé lorsque l’on sait que dans une transmission d’entreprise, le plus dur reste à trouver le bon acquéreur. Pour Sébastien Di Federico, le fait de travailler dans un secteur libéral aide à prendre de telle décision. «Je me suis très tôt vu entrepreneur. Je n’ai jamais perdu le sommeil durant les tractations». Cette solution permet en outre à ces ingénieurs de continuer d’exercer leur métier, d’être sur le terrain.

«Partager, cela n’a pas de prix, c’est une soupape phénoménale», c’est aussi l’avis de Karim Ulmann entré chez CJTEK dans le but de reprendre un jour l’entreprise d’Yverdon-les-Bains. En 2015, cet entrepreneur né est allé chercher un ancien collègue de chez Bobst pour assurer à deux l’avenir de la société spécialisée dans les têtes d’extrusion pour câbles ou tubes. Là, pas de secteurs à se répartir. «Nous sommes interchangeables, avons les mêmes responsabilités à 100%», ajoute Éric Hagmann. Une aide dans la prise de décision ou lors de congé. «Lorsque l’un est en vacances, l’autre assume».

Équilibré vie privée, vie professionnelle

La question de la vie hors de l’entreprise ne peut être esquivée à cet âge-là. Les situations sont diverses, avec ou sans enfant, avec ou sans maison, mais la nécessité de trouver un équilibre prime. «Si on est bien au travail, on est bien à la maison, et vice versa», lance Éric Hagmann. «Impact sur la vie privée, il y a, mais gérer ces responsabilités apporte au final beaucoup de satisfaction», constate Corentin Clot. «Ma famille est un soutien essentiel. Je suis le premier entrepreneur», ajoute Sébastien Di Federico. Pour Adrien Geinoz, «il n’y avait pas d’autres voies, je ne voulais pas rester employé. Après, tout est question d’organisation». En fait, pour lui, comme pour les autres, l’âge n’est pas un thème. L’essentiel, c’est la conviction. En plus, ajoute son ancien patron, «quand il aura remboursé, il aura encore la vie devant lui.»

Une solution viable pour tous

Car, une fois la décision prise, une fois la structure trouvée, encore faut-il trouver une solution financière alors que l’on n’a pas forcément les fonds propres. Quelles sont les aides à disposition? Peut-on bénéficier d’un cautionnement ou d’un soutien cantonal? Quels structure ou statut juridique? Faut-il montrer graduellement dans le capital ou tout acheter d’un bloc? Sur combien de temps faut-il investir? En jeu: se sentir à l’aise tant dans la gestion de l’entreprise que financièrement. Une remarque qui vaut tant pour l’acheteur que le vendeur.

Comme dans n’importe quelle transaction, la discussion autour du prix est teintée d’émotions. Demander un regard extérieur ne signifie pas se méfier de la proposition faite. «Nous avons contacté une fiduciaire davantage pour son analyse critique de l’offre que pour en discuter le montant», explique Corentin Clot. Adrien Geinoz a en outre suivi des cours et autres séminaires sur le thème de l’entrepreneuriat ou de la transmission d’entreprise. «C’est utile, oui, de s’informer et de bien s’entourer, mais l’essentiel est ici», dit-il la main sur le cœur.

Passage de témoin naturel

«Jamais, je ne me serais lancé sans travailler dans l’entreprise», relève Karim Ulmann, convaincu de l’importance de connaître la société et surtout sa direction. D’ailleurs, à un moment donné, le vendeur leur a dit: «les jeunes, je vous aiderai». Si les mots de holding et de prêt vendeur sont omniprésents dans les discussions, la durée du passage de témoin aussi. Deux ou trois ans durant lesquels, les nouveaux dirigeants peuvent bénéficier de l’expérience des «anciens» et les cédants mesurer la vitesse à laquelle la génération suivante prend ses marques. «Le passage se fait de manière naturelle», résume Corentin Clot. «Petit à petit, après avoir atteint l’équilibre la balance penche davantage vers nous».

Au final, «chacun a fait des concessions plus grandes qu’imaginées, il ne faut pas se montrer trop gourmand, les deux parties doivent s’y retrouver. Et cela n’a pas diminué notre enthousiasme», conclut Sébastien Di Federico. «Nous avons avancé de manière pragmatique, raconte pour sa part Karim Ulmann, en discutant point par point jusqu’à débloquer chaque situation.» Et de sourire: «entre 2015 et 2019, j’ai fait un MBA en accéléré sur le terrain».

Un virus, comme premier test

Et, à peine assis à leur nouveau bureau, ils ont tous dû affronter la crise sanitaire. Un choc sans précédent qui a permis de tester la flexibilité des sources de financement et les rapports entre les générations, voire au sein de l’ensemble de l’entreprise. «Je ne me suis jamais senti seul durant cette période», confie Adrien Geinoz. Ainsi, Éric Hagmann voit tout de même un avantage dans la jeunesse, «l’âge n’est pas un problème si l’on est sûr de ce que l’on fait, mais il faut une part d’inconscience pour se lancer et ça, la jeunesse nous l’offre.»

 

Leur témoignage:

 

Corentin Clot (29 ans, à gauche), Alexandre Angéloz (27 ans), Patrick Ebner (37 ans), Sébastien Di Federico (28 ans, à droite)

Repreneurs de MP Ingénieurs Conseils, Crissier, créée en 1994

 

 

 

Humilité «Nous avons besoin de l’expérience de ceux qui nous entourent. Nous devons aussi patienter et comprendre que tout ne va pas changer à la signature de la transaction».

Communication «Il faut oser briser la glace en posant la question à son patron: quand partez-vous à la retraite? Ceci à condition de s’être préalablement posé la question à soi-même: est-ce que je veux reprendre l’entreprise?»

Soutien «Le temps est un allié, il faut savoir le prendre et ne pas se précipiter. Autres incontournables: le soutien, notamment informel, de son entourage et la bienveillance du vendeur».

 

Karim Ulmann (34 ans, à gauche), Éric Hagmann (32 ans)

Repreneurs de CJTEK, Yverdon-les-Bains, créée en 1999

 

 

 

Confiance «Confiance et transparence entre les parties sont essentielles. D’où l’importance de travailler déjà dans l’entreprise, de comprendre l’ambiance, d’adhérer aux valeurs, cela facilite la transition.»

Technique «Notre savoir-faire est la clé de la réussite. Nous sommes souvent challengés par nos employés, qui sont de longues dates dans l’entreprise, mais aussi par les clients. Mettre la main à la pâte à aider à créer la confiance.»

Environnement «Bien s’entourer est essentiel. Banques, fiduciaires, instances cantonales, associations, autres entrepreneurs, tous ceux que nous avons rencontrés nous ont apporté quelque chose et ont permis de trouver la solution la meilleure pour toutes les parties.»

 

Adrien Geinoz (28 ans)

Repreneur de Vielec, Villars-le-Terroir, créée en 1990

 

 

 

Curiosité «Si l’on est convaincu de pouvoir apporter quelque chose à l’entreprise, créer la discussion, s’intéresser, chercher des opportunités aide à trouver une solution de transmission à l’interne.»

Accompagnement «J’avais déjà le contact avec la clientèle, mais mon patron m’a bien introduit, présenté à nos partenaires et clients. Cet accompagnement m’apporte beaucoup.»

Attachement «Vielec me tient à cœur. Je la connais. Je connais le métier. Dans ma réflexion sur mon avenir, reprendre l’entreprise m’intéressait beaucoup plus que de partir de zéro.»

 

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